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Le Canard Chantant
28 juillet 2016

Sécurité ou stabilité ?

Après le discours martial prononcé par le président de la République devant le Congrès, on pouvait craindre –ou espérer– un assouplissement marqué de la politique budgétaire. Il n’en est rien. Devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles, le 16 novembre, le chef de l’État avait fait part de sa volonté de «renforcer substantiellement les moyens dont disposent la justice et les forces de sécurité». Ces mesures, avait-il ajouté, «se traduiront nécessairement […] par un surcroît de dépenses mais, dans ces circonstances, je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité». La formule était belle mais suscitait immédiatement beaucoup d’interrogations. Car le pacte de sécurité, auquel François Hollande faisait référence, est une pure figure de style: il n’existait pas à cette date, n’existe pas plus aujourd’hui et n’existera probablement jamais. Tout juste peut-on parler, pour être précis, d’une certaine convergence de vues au sein de l’Union européenne pour prendre les mesures nécessaires à la protection des citoyens des vingt-huit États membres. Au contraire, le pacte de stabilité, lui, existe bel et bien; il a même été renforcé dans ce qui s’appelle maintenant le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) signé en mars 2012 par les chefs d’État de l’Union européenne, à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque, et transposé en droit français par la loi organique du 17 décembre 2012. Comment un pacte fictif pouvait-il l’emporter sur un pacte réel? De fait, il est apparu assez vite que le chef de l’État n’avait pas pris un grand risque. Pour deux raisons. Bienveillance européenne D’abord, nos partenaires européens et la Commission de Bruxelles ont très vite manifesté leur compréhension envers la politique française. De passage à Paris trois jours après le discours de François Hollande, Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, faisait savoir que le dossier de la France serait examiné avec bienveillance: «La Commission comprend que la sécurité est la première des priorités […]. Les règles du pacte de stabilité n’empêchent pas les États de définir leurs priorités légitimes.» Selon le commissaire, il n’existe pas d’opposition entre le pacte de sécurité et le pacte de stabilité: «Il n’y a pas de raison de penser que la trajectoire des finances publiques en sera substantiellement modifiée.» Le président de la République française «voulait dire simplement que les dépenses supplémentaires qui doivent être faites doivent faire l’objet d’un traitement particulier, il ne s’agit pas de mettre fin au pacte de stabilité». Pas question donc de faire un procès d’intention à la France et de la suspecter d’en prendre à son aise avec ses engagements européens: «Nous verrons le moment venu quels sont les montants concernés et quel traitement nous leur accordons», sachant que, évidemment, la Commission n’est pas favorable «à une remise en cause du pacte de stabilité, qui est intelligent et flexible […]. C’est notre règle commune et il doit demeurer notre règle commune.» Bref, la Commission se montrerait bienveillante mais la France ne pourrait pas profiter de l’occasion pour laisser déraper le déficit de ses finances publiques au-delà de certaines limites. Étroite marge de manœuvre Cette confiance accordée a priori à la France était d’autant plus justifiée que, dès le lendemain du Congrès de Versailles, on faisait savoir à Bercy que le surcroît de dépenses annoncé resterait «compatible avec nos équilibres» et ne remettrait pas en cause nos engagements européens. Le 19 novembre, devant le Sénat, Michel sapin l’assurait: «Le principe de responsabilité budgétaire que nous défendons depuis bientôt deux ans avec Christian Eckert n’est en aucune manière antagoniste avec la responsabilité politique face aux événements, il est au contraire la condition nécessaire pour pouvoir financer nos priorités et les traduire en actes […]. Nos partenaires européens ont très bien compris que la protection de nos concitoyens est une priorité absolue en ces moments et que les règles européennes, qui ne sont “ni rigides, ni stupides” pour reprendre les mots du commissaire, offrent les marges de manœuvres adéquates.» Très clairement, il n’était pas question de se débarrasser du pacte de stabilité. Malgré la décision prise d’augmenter les dépenses liées à la sécurité, la France devrait ramener son déficit public de 3,8% du PIB en 2015 à 3,3% du PIB en 2016 Mais, à l’évidence, la marge de manœuvre laissée par ce pacte «intelligent et flexible» était étroite. D’un côté, Paris pouvait compter sur une relative mansuétude de la part de certains de ses partenaires, eux-mêmes confrontés à une situation exceptionnelle avec l’arrivée massive de réfugiés sur le sol européen et contraints d’engager des dépenses supplémentaires imprévues. De l’autre, elle ne pouvait pas espérer être autorisée à prendre trop de libertés avec les textes à un moment où la Commission était engagée dans des discussions assez tendues avec d’autres pays ayant du mal à respecter leurs engagements, comme l’Espagne, ou cherchant à se redonner des marges de manœuvre, comme l’Italie. Le pacte de sécurité ne pouvait l’emporter sur le pacte de stabilité que dans certaines limites. Surcroît de dépenses modeste Et on arrive là à la deuxième raison pour laquelle François Hollande n’a pas pris un très grand risque: les sommes en jeu étaient relativement limitées et ne menaçaient pas de manière trop dangereuse les équilibres budgétaires. Créer en deux ans 5.000 emplois supplémentaires dans la police et la gendarmerie, 2.500 dans la justice et 1.000 dans les douanes (donc 8.500 emplois au total, dont 5.200 en 2016) et financer les besoins d’équipement liés à ces emplois, cela représenterait un surcroît de dépenses de l’ordre de 600 millions d’euros en 2016, a expliqué Michel Sapin le 19 novembre devant les sénateurs. En réalité, les amendements déposés par le gouvernement ont conduit à une dépense supplémentaire estimée à 650 millions pour 2016, auxquels il a fallu ajouter 100 millions pour financer les opérations extérieures, en Syrie notamment. Finalement, c’était moins que le total des autres dépenses nouvelles (près de 1 milliard) que le gouvernement a fait inscrire dans le budget au cours des discussions au Parlement au titre de la lutte contre le changement climatique, de l’aide au développement, de l’aide à la construction de logements et de l’accueil des réfugiés (dépenses nouvelles compensées par des coups de rabot sur d’autres dépenses ministérielles). Par ailleurs, de bonnes surprises sont arrivées en cours de route. Ainsi, il est apparu que le prélèvement à prévoir sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne, initialement estimé à 21,5 milliards, s’établirait plus probablement à moins de 20,2 milliards; entre le projet de loi de finances déposé le 30 septembre à l’Assemblée nationale et le texte définitif voté le 17 décembre, il y a sur ce point une économie de 1,34 milliard dans le budget général. Par ailleurs, si l’on regarde les comptes spéciaux, on constate dans les comptes d’affectation spéciale (qui retracent notamment les dépenses et recettes liées aux participations financières de l’Etat) un solde positif passé entre les deux textes de 517 millions à 804 millions, soit un gain de 287 millions. Cela n’a pas suffi à compenser les dépenses supplémentaires inscrites au titre de la sécurité mais les dégâts ont été sérieusement limités. Au total, si les dépenses sont passées du projet initial au texte voté de 306,163 milliards à 309,736 milliards, le déficit a été seulement augmenté de 308 millions, en passant de 71,991 milliards à 72,299 milliards. Si l’on compare ces chiffres au produit intérieur brut (PIB) attendu en 2016, soit 2.230 milliards, on constate que la trajectoire de nos finances publiques, pour reprendre la terminologie bruxelloise, n’est pas du tout modifiée. Avant que la décision ne soit prise d’augmenter les dépenses liées à la sécurité, la France s’était engagée à ramener son déficit public (celui de l’État, plus celui des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale) de 3,8% du PIB en 2015 à 3,3% du PIB en 2016. C’est encore exactement ce qui devrait arriver si l’exécution du budget 2016 est conforme à ce qui est prévu dans le texte finalement voté. Circulez, il n’y a rien voir: le pacte de sécurité n’a rien changé au pacte de stabilité! Beaucoup de bruit pour rien? Ce surcroît de dépenses n’est cependant pas neutre. Précédemment, le chef de l’État était revenu sur les suppressions de postes prévues dans l’armée par la loi de programmation militaire et, avec les 5.200 postes nouveaux à créer l’an prochain, le nombre d’emplois publics ne va pas baisser en 2016: il va au contraire augmenter de plus de 14.000. Enfin, une hausse même limitée du déficit va compliquer encore un peu plus la tâche du ministère du Budget dans un contexte qui reste difficile. Les hypothèses économiques qui sous-tendent le budget 2016 reposent sur une croissance du PIB de 2,5%: 1,5% en volume et 1% de hausse des prix. La prévision de croissance de 1,5% n’est pas irréaliste, elle est en ligne avec la moyenne des prévisions. Certes, sa réalisation n’est pas acquise, si l’on en juge par les dernières prévisions de la Banque mondiale, qui ne prévoit plus qu’une croissance mondiale de 2,9%, contre 3,3% en juin 2015, et par les remous boursiers provoqués par la crainte d’un ralentissement encore plus accentué en Chine. Mais il n’est pas exclu que l’Europe et la France parviennent tout de même à rester sur la trajectoire prévue car les différentes économies mondiales ne sont plus en phase; les difficultés des grands pays émergents ou des exportateurs de matières premières pourraient ne pas entraver la modeste accélération qui se dessine ici. En revanche, il est loin d’être certain que l’objectif d’une hausse des prix de 1% puisse être atteint: à fin novembre, sur les douze derniers mois connus, la hausse était de zéro et la Banque centrale européenne, en dépit de tous ses efforts, n’arrive pas à faire remonter les prix dans l’ensemble de la Zone euro. Et une moindre hausse des prix se traduit fatalement par une moindre hausse des recettes fiscales. Dans ces conditions, quelques centaines de millions de dépenses supplémentaires peuvent s’avérer encombrants.

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