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Le Canard Chantant
22 novembre 2017

Socialisation genrée et hétérosexualité normative

Bien jouer son rôle de genre, c’est bien jouer son hétérosexualité, ce qui s’apprend distinctement selon que l’on soit une jeune fille ou un jeune garçon. Dès la pré-adolescence, les filles doivent performer l’hétérosexualité, c’est-à-dire avoir un corps attirant, être jugée désirable par les garçons, faire l’objet de rumeurs hétérosexuelles, voire être dans une relation amoureuse hétérosexuelle. Il s’agit dès lors de produire le corps féminin en tant qu’objet hétérosexuel désirable (Renold, 2000). L’un des principaux facteurs de légitimation de la féminité et de l’hétérosexualité serait la position de « petite amie » (Renold, 2000), qui se présente comme l’un des seuls contextes lors desquels il est considéré acceptable que les filles fassent montre d’un certain intérêt pour la sexualité. Il faut préciser que la première cause d’exclusion pour les filles est sexuelle : celle qui témoigne d’un désir ou d’une autonomie sexuelle ou d’une quête du plaisir sexuel est rapidement remise à sa place, tant par les autres filles que les garçons, qui peuvent la traiter de « pute » ou lui imputer une (mauvaise) réputation (Clair, 2005, 2012). Les stéréotypes pèsent ainsi sur les deux sexes : les filles doivent se montrer désirables mais respectables (ne pas « coucher » si l’on n’est pas « amoureuse »), les garçons doivent se montrer virils, c’est à dire se montrer intéressés par le sexe et avoir un appétit sexuel hypertrophié, des besoins sexuels irrépressibles. Les garçons qui ne montrent pas une volonté d’exercer une activité sexuelle (hétérosexuelle) sont suspects aux yeux de leurs pairs (Ayral, 2011). « Au cœur de la représentation du masculin, la sexualité apparaît prégnante : les hommes sont le sexe », rappellent à ce sujet Cromer et Lemaire (2007 : 67). Dans un tel contexte, la sexualité entre filles/ femmes n’est acceptable que si elle peut être appropriée par l’homme (Lebreton, 2014). Des filles peuvent donc se permettre des incartades dans la sexualité ou le plaisir sexuel, à la condition de respecter certaines contraintes. L’exercice d’une sexualité « libre » ne peut paradoxalement se faire que dans le cadre d’une relation amoureuse hétérosexuelle qui bénéficiera à l’homme. Les filles sont appelées à maintenir un équilibre précaire entre le fait d’être une « fille bien » préservant à la fois une certaine innocence sexuelle, une féminité désirable, et de ne pas être une « pute » sans outrepasser les limites qui leur sont socialement imposées en matière de sexualité (Clair, 2012; Renold, 2000). Il est également attendu qu’elles servent de régulateur des besoins sexuels masculins et sont perçues comme responsables de la prise en charge des désirs des garçons et des hommes et de leurs conséquences (rapports à risque, violences sexuelles, grossesses). A l’adolescence, les jeunes s’approprient progressivement ce type de relations selon un arrangement des sexes (Goffman, 2002) reposant sur l’hétéronormativité. Les filles qui ne s’engagent pas de manière visible et précoce dans les relations de type amoureuses (petit ami-petite amie) et n’assument donc pas leur rôle de prise en charge sexuel des désirs masculins hétérosexuels, sont la cible des autres jeunes qui les suspectent d’être des lesbiennes ou d’être frigides (Ringrose et Renold, 2014).

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